Nouveau conflit dans la santé vaudoise
SOINS Début juillet, le Conseil d'Etat a limité l'admission de médecins dans quatre spécialités. Une nécessité pour le canton. Un préjudice pour Vaud Cliniques, qui…
SOINS Début juillet, le Conseil d’Etat a limité l’admission de médecins dans quatre spécialités. Une nécessité pour le canton. Un préjudice pour Vaud Cliniques, qui a fait recours auprès de la Cour constitutionnelle. Explications
ANNICK CHEVILLOT
C’est un nouveau bras de fer qui débute entre le Département vaudois de la santé et les cliniques privées. Au cœur du problème, l’arrêté sur la limi tation de l’admission des médecins à pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS) dans le secteur ambulatoire. En d’autres termes, un gel des admissions. Quatre spécialités sont concernées: cardiologie, neu rochirurgie, ophtalmologie et urologie. Il s’agit pour le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) de «maîtriser la croissance du nombre de médecins sans compromettre l’accessibilité aux soins» des Vaudois. Et le canton n’avait pas vraiment le choix. Il doit appliquer la nouvelle réglementation fédérale en la matière et il avait jusqu’au 1er juillet pour se mettre en conformité avec l’article 55a de la loi sur l’assurance maladie (LAMal).
Un milieu bousculé
Quant au choix des quatre spécialités, il est le fruit d’un long travail d’évaluation mené sur 33 spécialités. Ces travaux ont nécessité de nombreuses séances qui se sont étalées sur deux ans. Pour trouver un consensus, le CHUV (en qualité d’hôpital formateur), la Société vaudoise de médecine (SVM), les groupements des spécialités concernées et la section vaudoise de l’Association des médecins assistant·e·s et chef•fe•s de clinique ont été consultés.
Mais l’arrêté publié le 2 juillet a bousculé le milieu médical vaudois. Contacté, un spécialiste concerné dit même avoir été «heurté» par son contenu. En plus des limitations détaillées, qui font l’objet d’un compromis, le texte contient des éléments qui effraient les médecins. Notamment la constitution d’une commission cantonale de planification de l’offre médicale. Son but: limiter un domaine de spécialité, lever ladite limitation et adapter les nombres maximaux de médecins dans le canton ou une région. La présidence de cette entité a été confiée au directeur général de la santé. Un autre point a également alerté: la méthodologie de calcul des nombres maximaux de médecins pour une spécialité donnée.
Dans un premier temps, la SVM a évalué la possibilité de faire recours contre cet arrêté, mais a finalement choisi «la voie du partenariat avec l’Etat de Vaud», relève Séverine Oppliger-Pasquali, présidente de la faîtière des médecins vaudois. Entre craintes et réserves, la SVM a néanmoins décidé de réagir pour exprimer ses doutes sur l’arrêté: «Les décisions de limitation doivent toujours être fondées sur les besoins réels de la population, évalués de manière ciblée par région et par spécialité. Les considérations budgétaires ne sauraient suffire.» En confiant la présidence de la commission qui va gérer ces limitations au directeur général de la santé, Séverine Oppliger-Pasquali craint que l’«on passe à une gestion plus administrative que médicale du sujet». Dans son communiqué du 17 juillet, la SVM estime d’ailleurs que cette présidence «devrait revenir au médecin cantonal, plus proche des réalités du terrain».
«Un afflux» de praticiens genevois
La frustration est d’autant plus grande que ces travaux devaient s’inscrire dans un contexte plus large: la modification de la loi sur la santé publique. Une évolution qui n’est plus à l’ordre du jour. Mais le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) tient à préciser que «le Conseil d’Etat n’a pas renoncé à modifier cette loi, note Sonia Arnal, responsable commu nication du département. C’est une démarche qui se poursuit en parallèle [de l’arrêté, ndlr] et le projet sera bien soumis au vote du Grand Conseil.» Mais les travaux sont en suspens et plusieurs spécialistes du sujet confirment qu’il n’existe pour l’heure aucun calendrier. Impossible donc de savoir quand cette loi sera adaptée.
De son côté, Vaud Cliniques (qui regroupe 12 cliniques et 3500 collabora teurs) a décidé de passer à la vitesse supérieure en déposant un recours contre cet arrêté auprès de la Cour constitutionnelle. L’effet suspensif est immédiat et le Conseil d’Etat a jusqu’au 19 août pour exposer ses appréciations.
Le recours de 103 pages, que Le Temps a pu consulter, relève de nombreux problèmes méthodologiques. Jérôme Simon-Vermot, secrétaire général de Vaud Cliniques, estime que l’arrêté et ses annexes «violent plusieurs exi gences du droit fédéral». Plusieurs points étonnent. Ainsi, la limitation dans les quatre spécialités serait notamment due à une crainte «d’un afflux de médecins genevois». Une peur «infondée, formulée sans preuve, ni données objectives à l’appui», selon Vaud Cliniques. Ensuite, la faîtière des cliniques vaudoises n’a pas été consultée sur la fixation concrète des nombres. «Et ce gel des admissions nous est préjudiciable, ajoute Jérôme Simon-Vermot. La seule manière de nous faire entendre, c’est de faire recours. Nous déplorons encore l’absence de coordination avec les autres cantons et la non-prise en compte de facteurs de pondération tels que l’accès des assurés aux traitements dans un délai raisonnable.»
Si de nombreux médecins estiment que ce recours «crispe» encore un peu plus les relations déjà tendues entre les acteurs privés et publics de la santé dans le canton, ils estiment que Vaud Cliniques n’a pas complètement tort dans sa démarche. La légitimité des médecins est enjeu.
Article : Le Temps du vendredi 8 août 2025